Dans l'ombre des Jasmins de Franzo Pizarro

 


Franzo Pizarro nous présente ce livre « Dans l'ombre des Jasmins » comme un témoignage romancé, tiré de faits réels (inspiré par un vécu personnel). L'auteur y exprime donc son expérience personnelle, à travers Elliot, personnage central et fictif du récit. Il ne précise pas quelle est la part fictive et la part de vécu, mais on se doute que le témoignage détient une grande part de vérité.

Dans ce récit, Elliot est un tout jeune homme qui découvre le monde du travail, et se retrouve employé dans une maison de retraite, plus par opportunité que par motivation. Cela n'empêche sa curiosité et son envie de bien faire.

Son premier jour de travail semble particulièrement représentatif. Le pauvre est lâché sans filet dans son tout nouveau travail en tant que Monsieur Canicule (chargé de veiller à l'hydratation des personnes âgées). On lui a bien présenté les grandes lignes de cette nouvelle fonction, mais Elliott commence dans une solitude pesante : pas d'encadrement prévu pour ses premières heures de travail, pas de présentation aux résidents, pas d'explications sur leurs pathologies ou les possibles difficultés qu'il va rencontrer. L'accueil des collègues est plus ou moins chaleureux, mais heureusement, l'une d'elle va prendre Elliott sous son aile, pour le guider dans des premiers pas. Et nous voilà soulagé.e.s pour lui, car dès le départ, on ressent de l'empathie pour ce personnage attachant.

Elliot arrive dans cette maison de retraite avec son anxiété, son manque de confiance en soi et son envie de bien faire. Il veut faire ses preuves dans ce premier emploi. Cette volonté s'avère essentielle pour comprendre l'ensemble du récit.

Les collègues, dont il fait la connaissance, se révèlent par contre plus ou moins professionnels, plus ou moins blasés et surtout exaspérés (et c'est un comble...) face aux besoins de résidents dont ils ont la charge. D'ailleurs, pour certains cette résignation les pousse à la négligence et ils ne respectent pas leurs devoirs envers les personnes âgées. Elliot est bien souvent choqué par cette nonchalance à laquelle s'ajoute une gestion avec les moyens du bord, avec pour soucis la rentabilité, la recherche constante des économies... une recherche pécuniaire qui se fait toujours au détriment de l'humain.

Dans ces conditions, les personnes âgées sont plus ou moins livrées à elles même, quelque soit leur degré d'autonomie.

Elliot découvre cette réalité du travail avec des yeux innocents et une touche de frustration et de dégoût.

L'auteur s'accorde le temps, dans le récit, de prendre du recul, d'analyser la situation avec la maturité gagnée au fil de l'expérience et des ans. J'ai apprécié cette narration « double ». Elle apporte au récit une analyse des leçons acquises au cours d'un apprentissage parfois douloureux.Cela permet également d'instaurer une distanciation dans les moment les plus pénibles.

Dans le récit, Elliot apprend à connaître les résidents et ses collègues et à se faire apprécier (surtout des premiers). Elliot est gentil, serviable, compatissant, patient et doux. Il fait preuve d'humanité tout simplement et s'étonne bien souvent que les petits gestes du quotidien, qui permettent aux personnes âgées de se sentir tellement mieux, ne soient pas la priorité de ses collègues. On a l'impression qu'ils voient en eux des meubles à dépoussiérer et entretenir, quand Elliot, lui, voit des personnes en tant que telles.

Comme le dit Elliot, et peut être l'auteur à travers lui, il ne veut pas juger ses collègues ou se poser en moralisateur, mais le constat qu'il fait reste tout de même effrayant pour le lecteur.

Ce personnage est donc un vrai gentil et son gros problème reste de ne pas savoir dire non. Il se voit donc « piégé » dans cette résidence pour laquelle il développe un sentiment d'amour, mais de ressentiment aussi... pour son côté déshumanisant.

Malgré les bons moments de complicité passés avec les résidents et certains collègues, il y a aussi des moments plus douloureux, gênants voire humiliants.

L'auteur aborde également dans le récit, une réflexion sur la vieillesse et la mort. A 18 ans, être confronté au quotidien, à ces concepts parfois encore abstraits, n'est pas banal. L'écart entre sa réaction face à la mort et la banalisation de celle ci, au sein de la résidence, est immense.

L'écriture de ce « récit-témoignage » est fluide et agréable. L'auteur opte en toute logique pour la narration à la première personne et brouille ainsi les pistes. En tant que lectrice, je me suis demandé si je lisais les paroles d'Elliot ou de l'auteur. Ont-ils fusionné au cours de l'écriture ou, auteur et personnage sont-ils restés bien distincts ? J'avoue ne pas avoir la réponse à cette question, mais je préfère ce doute. Il fait parti du charme du récit, sa part d'intrigue.

La narration à la première personne permet également de privilégier un récit intime, où les émotions et le ressenti ont une belle place. L'auteur, au fil des mots et des aventures d'Elliot, sait nous faire vibrer. On passe par pas mal d'émotions : de l'amusement des situations singulières, à l'attendrissement face à une belle complicité avec les résidents, à la frustration de voir Elliot manipulé et utilisé, à l'horreur et la colère face à certaines scènes.

L'auteur, à travers Elliott livre ses pensées, met en perspective ces scènes du passé. Ses mots sont justes et le témoignage intense, poignant.

La fin est malheureusement prévisible, même si on espère se tromper, car on ne peut qu'éprouver de l'affection pour Elliott.

Avant d’entamer la lecture, j'avais planifié d'étaler ma lecture, pour ne pas me lasser, mais au final, je l'ai dévoré en moins de 48 heures. Et ce fut une excellente lecture...

Et, même si je ne sais pas quelle est la part de vérité et de fictif, je tiens à témoigner mon admiration pour l'auteur, dont je ne doute pas qu'il possède la gentillesse et la bienveillance d' Elliott, un don à préserver à côté de son don pour l'écriture. Franzo Pizarro est indéniablement, un auteur à suivre !


Je remercie les éditions du Saule et Franzo Pizarro pour leur confiance et cette excellente lecture !


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